De l'art de jouer avec les mots
40 ans se sont écoulés depuis la révolution de mai 68. Il nous reste encore des acquis, bien sûr, mais cette célébration prend parfois des allures de campagne marketing pour vendre des pavés souvenirs en mousse, des compilations des Papa's et des Mama's et des tee-shirts à l'effigie du Che.
En 40 ans, la droite française a changé. A l'époque, persuadée qu'elle serait éternellement aux commandes du pouvoir, la droite ne faisait guère d'efforts et se permettait d'être ouvertement réactionnaire. A l'inverse, la gauche incarnait des forces de progrès sans trop de difficultés puisque l'adversaire était aisément reconnaissable. Mais voilà qu'un jour, il y a eu, en France, une vraie alternance, et nos amis de droite ont pris une bonne baffe dans la figure. Ils se sont dit, un peu tard à l'époque, qu'on ne les y reprendrait plus. Quelques décennies plus tard, ils ont tenu parole...
Mais comment ont-ils fait ? Simple. Ils ont regardé comment leurs amis créatifs et publicitaires vendaient leurs produits. Et ils ont bien retenu la leçon. L'important n'est pas dans le contenu d'un programme mais dans la manière qu'on a de le faire passer. Et ils ont appris à communiquer, tout simplement. Et pour bien communiquer, il suffit d'avoir quelques mots de vocabulaire et de savoir jouer avec les mots.
Ce matin, sur France-Inter, une radio (encore) publique, on pouvait entendre au journal de sept heures le leader d'extrême gauche, Olivier Besancenot, déclarer que ce mois de mai 2008 avait un parfum de mai 68, avec toutes les manifestations à venir. Juste après, on entendait un leader de l'UMP, notre droite préférée du monde, dire que la différence avec mai 68 résidait dans le fait qu'aujourd'hui c'était la gauche qui était conservatrice puisqu'elle restait accrochée à ses acquis, alors que la droite incarnait (comme les ongles... Non, pardon, je m'égare) les forces de progrès puisqu'elle n'hésitait pas à réformer à tout va...
Passé l'instant où j'aurais volontiers étranglé cet homme pour lui faire ravaler ses propos, et celui où j'ai eu envie de mettre le feu à ma radio (ce qui aurait été idiot, puisque je ne dispose d'aucun extincteur dans mon appartement), je restais admiratif devant le glissement sémantique du mot "réforme". La réforme, selon mon gros Larousse est un "changement important, radical, en vue d'une amélioration". Le problème est d'interpréter ensuite le terme "d'amélioration".
Un mot n'a de sens qu'avec la pensée qui l'englobe. Je m'explique. Si je raconte une grosse blague raciste bien dégueulasse, cela n'aura pas le même sens si je suis un militant antiraciste ou si je suis un adhérent d'extrême droite. Et pourtant les mots seront strictement les mêmes. Une "réforme", à la base, n'est ni bonne ni mauvaise. Tout dépend la pensée politique de celui qui l'énonce. Un changement peut être, selon le point de vue, une excellente ou une très mauvaise chose.
Ainsi, l'important n'est pas de juger un gouvernement au nombre de ses réformes, mais plutôt au contenu de ses réformes.
Je ne doute pas un instant de la sincérité des princes actuels qui nous gouvernent. Je ne peux pas croire que nous ayons à faire face à un groupe de personnes de mauvaise foi qui aime faire souffrir le peuple. De la même manière que je ne peux pas croire que le progrès ne réside que dans le peuple de gauche (même si, je l'avoue, cela m'arrangerait). Il existe des gens intègres dans toutes les formations politiques, et ces gens ont chacun leur conception du bonheur collectif qui peut ou non, rejoindre ma propre conception des choses.
Mais cessons de nous faire avaler que notre prince actuel affublé de son cortège de ministres soit la meilleure chose qui ne nous soit jamais arrivée. Cessons de vouloir nous faire avaler l'idée que refuser une réforme qui nous semble dangereuse est un acte de frilosité. Débattre, c'est écouter l'autre, et construire ensemble, de manière coopérative. Alors bien sûr, avec cette optique, la démocratie devient quelque chose de beaucoup plus complexe que de glisser un bulletin de vote dans une urne lorsque les princes nous le demandent. Mais c'est seulement à ce prix qu'on ne se retrouve pas dans une société où le paraître est plus important que l'être, où l'individuel prend le pas sur le collectif et où les communicants se la jouent strass et paillettes en permanence...