Petite leçon d'histoire vivante
La première fois, c'était à Ostia, en Italie, que ça lui était arrivé. Pourtant, ce jour-là, rien ne le préparait vraiment à cet événement. Ostia, c'est une ancienne ville romaine, à une trentaine de kilomètres de Rome. Il y a 2000 ans, c'était un port, au bord du Tibre. Aujourd'hui, l'eau est à 4 km de la ville. Il marchait donc, en solitaire, sur une voie romaine. Et une idée s'immisça dans son esprit. Une idée toute simple, qu'il n'avait pourtant jamais eu jusque là.
Il avait trente ans. Voici 2000 ans, des gens du même âge que lui avaient foulé ces rues, comme il le faisait à présent. Voici 2000 ans, ces gens avaient une vie devant eux, et ce même sentiment d'éternité qu'il avait lui-même. Ces gens aimaient, souffraient, vivaient. Maintenant, c'était son tour. Et les murs étaient remplis du souvenirs de ces romains.
Lorsqu'il arpenta les rues de Berlin, il eut soudainement les mêmes sentiments. Peut-être parce que Berlin est une ville pleine de cicatrices.
Lorsqu'il passa devant la porte de Brandebourg, pleine de touristes, il se projeta un peu plus de soixante ans en arrière, imagina le rassemblement Nazi. Et puis le Mur s'imposa à lui, ce Mur qui existait dans sa jeunesse, ce Mur qui avait coupé en deux une ville pendant les 19 premières années de sa vie. Lui, il était né en France, et il avait profité, sans le savoir, de la liberté de circulation. Il aurait pu être Est-Allemand. Il aurait pu être sous le joug de la Stasi, la terrible police politique.
Il se souvint de la chute du Mur, il revit les images, aux actualités. Il repensa à la Une du quotidien Libération, qu'il avait acheté, le 9 novembre 1989.
Et il ressentit l'espoir, qui flottait dans cette ville, et cette force, qui définissait l'être humain, cette force qui lui permettait de toujours se relever, de toujours combattre, de toujours résister.