De l'art d'être à la mode
Chaque année, lorsque l'hiver se revêt de son blanc manteau, lorsque les frimas parcourent nos rues en tous sens, lorsque la buée se fixe aux coins de nos lèvres engourdies, on se rend soudainement compte qu'il ne doit pas être aisé de vivre dans la rue.
Nos amis les médias, n'ayant pas encore, en cette douce fin d'année, de catastrophe à l'autre bout du monde à nous montrer (Pas un volcan déchaîné crachant sa lave brûlante sur des villageois effarés, pas un tsunami noyant rageusement des touristes français, pas une avalanche meurtrière... rien de rien, je vous dis), se sont rabattus, faute de mieux, sur le Sans Domicile Fixe, qui n'est pas, a priori, un sujet moins mauvais qu'un autre.
Ce mois de décembre est donc marqué du sceau du chapon fermier, de la dinde qu'on fourre, du cadeau de dernière minute et du SDF qui meurt dans la rue...
Alors, les princes qui nous gouvernent, et ceux qui aspirent à gouverner, sortent, de leur veste en cachemire, leur grand mouchoir en tissu qui embaume le "sent bon", et se mouchent bruyamment, sous l'oeilleton ému des caméras mystérieusement massées près d'eux à ce moment-là. "C'est horrible ! disent-ils, avec des trémolos dans leur voix ensanglotée (joli ce mot, non ? je viens juste de l'inventer !) C'est affreux ! Il y a de la misère ! C'est incroyable ! Et en plus, lorsqu'on abandonne un corps humain dans le froid, et les ténèbres, il meurt !" Alors, soudainement, les promesses pleuvent à verse. Tout à coup, ce problème, qui existe toute l'année, et ce, depuis des années, devient LA priorité numéro 1. C'est urgent, ma bonne dame, on laisse tout tomber, et on résout le problème très rapidement, toute affaire cessante... Ou , tout au moins, on s'y attelle... Quelques jours, ou quelques semaines... Le temps que les caméras s'éloignent... Après, on se contentera de coller un Post-It sur notre frigo, histoire de nous le rappeler au moment des élections...
Le libéralisme exclut des individus. Les plus faibles, les plus précaires, sont les premiers à tomber. On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs, dit le proverbe. Oui, sauf qu'ici, les oeufs sont des individus, avec un coeur, une histoire, une vie. Ils sont allés à l'école. Ils ont eu des parents, des frères, des soeurs. Ils ont rêvé, ils ont aimé. Finalement, ils sont comme nous... Comment fait-on pour accepter ça ? Comment peut-on encore cautionner cette immonde roulette russe ?
Alors, on pourrait peut-être demander à nos princes et futurs princes, de réfléchir vraiment à la machine libéraliste, et on en profiterait pour leur glisser à l'oreille que les SDF ne sont que les conséquences d'un système, qui crée toujours plus d'exclusion de par le monde. Ouvrir des foyers à profusion, tout en débloquant quelques crédits supplémentaires, et en filant deux ou trois subventions à des associations humanitaires sont des solutions d'urgence. Mais elles ne suffisent pas.
Cacher la misère, en la déplaçant ailleurs, ne sert qu'à gagner du temps entre deux élections. Il serait temps de le faire comprendre à nos amis les puissants...