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26 novembre 2006

Paradis

J'ai écrit cette histoire voici une dizaine d'années. J'en avais eu l'idée pendant mon service militaire. Peut-être que l'aspect uniforme des lieux m'avait inspiré... C'est une histoire de science-fiction sur un phénomène sectaire mondial... Bonne lecture.

« La nature a horreur de l’homme et toi, toi, souverain des Dieux, toi aussi tu as les hommes en horreur »

JEAN-PAUL SARTRE, Les Mouches

Il s'est passé quelque chose d'étrange sur notre belle planète. Un événement plus marquant encore, d'un certain point de vue, que la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki.

Tout a commencé dans un petit village Breton du nom de K... au mois de mai de l'année dernière. Avant cette histoire, rien ne distinguait cet endroit des autres bourgades de la région ou même de France. C'était un village bien tranquille avec son traditionnel bal du 14 juillet et ses quelques festnoz. C'était un jour d'élection. C'est ici que débute l'histoire de ce singulier village. Car ce jour-là, personne ne s’est déplacé pour aller voter, mis à part le maire et ses adjoints.

Vers huit heures, Monsieur le Maire et son épouse sont allés déposer leur bulletin de vote. Mais, lorsqu'ils sont parvenus au bureau situé à l'école maternelle, ils ont eu la surprise de constater que les lieux étaient déserts. Il n'y avait personne. L'endroit était vide. Tout était prêt -les urnes, les cahiers, les stylos, les enveloppes, les isoloirs, les téléviseurs parés pour la retransmission des résultats nationaux de la soirée attendaient, figés dans leur immobilité d'objet- mais il n'y avait pas âme qui vive. Le maire et son épouse ont d'abord cru à une mauvaise blague, puis ils ont pensé qu’ils s’étaient trompés. Peut-être avaient-ils mal compris l'heure d'ouverture des bureaux ? Alors, ils ont attendu. Et ils se sont impatientés. Un immense soulagement s'est emparé d'eux lorsqu'ils ont aperçu quelques adjoints matinaux venir les rejoindre. Malheureusement, ce soulagement a été de courte durée. Les adjoints ne comprenaient rien à la situation. Aussi, tout le monde a décidé, afin d'y voir plus clair, d'aller prendre un café au bar du village. En arrivant devant le café, ils se sont rendu compte qu’il était fermé. Pourtant, ce n’était pas dans les habitudes du patron de ne pas ouvrir un dimanche matin. L’épouse du maire a alors remarqué qu’il n’y avait aucun bruit : ni circulation, ni mouvement.

Le village était sans vie.

Ils ont fini par téléphoner à la gendarmerie du village voisin. Les gendarmes ont débarqué à K... et une enquête a été immédiatement ouverte. Après avoir pénétré dans plusieurs maisons, les gendarmes étaient perplexes : non seulement, il n'y avait plus personne, mais tout avait été laissé en l'état, comme si la population s'était volatilisée dans la nuit et avait tout abandonné derrière elle.

C'est un promeneur qui a levé le voile sur la disparition des habitants de K... et qui a plongé du même coup les enquêteurs dans des abîmes d'incompréhension. Sur une falaise, face à la mer, l'intégralité du village était assis en tailleur, les yeux dans le vague, le regard vide. Il ne servait à rien de leur parler. Ils ne semblaient rien entendre et étaient insensibles à tout. On a fait venir une équipe de médecins et on a transféré certains sujets à l'hôpital pour faire des analyses et tenter un traitement. Rien n'y a fait. La catalepsie était totale. La santé de ces gens était parfaite. On notait toutefois un ralentissement de leurs fonctions vitales. Leur respiration était extrêmement lente et leur cœur battait à environ trente pulsations minutes. Aucun d’entre eux n’était sous l’emprise de la drogue.

Les médias se sont emparés de l'événement et des curieux ont afflué de toutes parts pour admirer le spectacle des habitants de K…, inertes, face à l'océan, qui communiaient dans un silence absolu. Les hôtels de la région ont très vite affiché complet, les restaurants n’ont pas désempli. Ce fait divers était une bénédiction pour le commerce local. Seules les familles des villageois de K... ont éprouvé du chagrin.

Au début.

Mais on s’habitue à tout. Et lorsqu'ils ont vu que leurs proches, en transe, ne leur posaient plus aucun problème, ils ont cessé, pour la plupart, de s'inquiéter. Après tout, les habitants de K... étaient vivants et ne faisaient rien de mal. Au bout de deux mois, l'enthousiasme suscité par le phénomène est retombé. On a laissé tranquille les habitants de K...

Le phénomène s’est reproduit dans quatre villages de l'Hexagone en plein milieu du mois d'août. Le même jour, sensiblement à la même heure, on a retrouvé l'intégralité des habitants en dehors de la cité, au milieu des prairies ou des champs, assis en tailleur. Ils étaient dans le même état que ceux de K... Les médias se sont affolés et la peur s'est emparée des Français.

Cette fois, on envisageait la thèse de la maladie et on a interdit à quiconque d'approcher les sites où se trouvaient les villageois de peur d'une possible contamination. D'impressionnants cordons de policiers et de CRS ont ceinturé les abords des dits villages ainsi que les lieux où se trouvaient les habitants en transe. Des équipes de chercheurs ont entamé de multiples analyses sur la qualité de l'eau, de l'air et de l'alimentation. La population Française dans son ensemble s'est émue de la situation. Tout de même, c'était leur compatriotes que l'on isolait ainsi. Oui, bien sûr, il y avait sûrement un problème d'intoxication à quelque chose. Mais, de là à recourir à de telles pratiques, c'était peut-être y aller un peu fort... On en était là de cette mystérieuse épidémie - car le mot était maintenant avancé par quelques spécialistes. Certaines personnes ont accusé différents lobbies. On avait affaire à une bactérie qui avait été créée afin de détruire les bons Français. Cette thèse fumeuse a commencé à faire son chemin dans une poignée d'esprits pervers et retors, ravis d'expliquer l'inexplicable et de désigner des boucs émissaires.

Mais, toutes ces belles théories se sont effondrées lorsqu'on s'est aperçu avec horreur au début du mois de septembre que divers points du globe étaient touchés par un phénomène similaire. Deux cas étaient signalés en Chine du nord, trois dans les pays du Maghreb, six en Amérique du sud, un au Canada. Le plus spectaculaire s’était déroulé en Australie. Ce n'était pas un petit village ou un bourg inconnu qui était frappé par cette catalepsie générale. Cette fois-ci, c'était Sydney.

L'ONU s’est réunie de toute urgence. Il fallait éradiquer le problème. Les populations du monde voulaient des réponses. Maintenant, c'était sûr, il s’agissait d’un virus. Et, d'ailleurs, les français ont été, un temps, fortement soupçonnés - après tout, c'était chez eux que tout avait commencé... Heureusement, le Président de l'ONU est intervenu : L'heure n'était pas aux discordes mais à l'action. Les coupables, s'il y en avait, seraient recherchés plus tard. Il fallait une politique commune. Et tandis que les gouvernements se réunissaient, le phénomène a rapidement pris de l'ampleur. A chaque heure, on apprenait qu'ici ou là, des gens succombaient à cette mystérieuse épidémie.

Cette période de crise a eu bien entendu des conséquences désastreuses pour l'économie mondiale.

Non seulement les populations contaminées n’étaient pas remplacées dans leurs emplois mais la population active encore saine a commencé à se désintéresser du travail en général. Étant donné qu'on ne pouvait, pour le moment, lutter contre ce fléau, et qu'il frappait de manière aléatoire les citoyens du monde, les gens ont préféré rester au côté de ceux qu'ils aimaient. De plus, en quelques semaines, le monde s’est retrouvé face à une immense vague de criminalité. Des villages abandonnés ont été pillés et brûlés. On ne dénombrait plus les incendies volontaires. Les actes de vandalisme se sont multipliés. La police et les pompiers ont très vite été débordés. Les tribunaux n’avaient plus aucun pouvoir. La loi martiale a été appliquée. L'explosion sociale et le chaos ont pris, mine de rien, les commandes du globe. Les débats à l'ONU ont succédé aux débats. On ne trouvait aucune solution. Les analyses des experts ne donnaient absolument rien. On n’avait détecté aucune infection. L'atmosphère est devenue de plus en plus houleuse.

Mais, un beau jour de novembre, un éminent médecin est intervenu à l'ONU et a bouleversé les idées reçues.

Son fils, qui n'habitait plus avec lui depuis plusieurs années, était entré en transe. Le médecin et sa femme, bouleversés, l'avait recueilli chez eux pour tenter de le soigner. En vain. Mais, à force de l'observer, il avait fini par élaborer une théorie. Son fils n'avait pas l'air malheureux. On pouvait même dire qu'il semblait calme et détendu. De plus, lorsque le médecin regardait son fils pendant une dizaine de minutes d'affilée, il ressentait un immense bien-être l'envahir. Pour lui, le phénomène n'avait donc rien d'une maladie. Car une maladie affaiblit l'individu. Or, ici, une grande force semblait émaner de ces gens. Le médecin, afin de vérifier sa théorie, avait voyagé et visité au total une dizaine de sites où se regroupaient des personnes en transe. A ce jour, il était capable d'énoncer ses conclusions. Cet état cataleptique n'était pas un fléau car il ne tuait personne. On assistait au contraire à une évolution spectaculaire de l'espèce humaine, à une sorte de mutation accélérée. Maintenant, l'homme devenait spirituel. Et chaque Contemplateur - c'est ainsi qu'il nommait les gens touchés par le phénomène - était une sorte d'élu. Il ne fallait pas craindre la Contemplation. Il fallait, au contraire, l'attendre et l'espérer.

La révélation a fait grand bruit. Et malgré le scepticisme de certains, on a été dans l'ensemble bien content de trouver là de quoi se rassurer. Quelques jours après cette déclaration, rediffusée par toutes les télévisions du monde, on a remarqué une baisse étonnante de la criminalité et de la délinquance. Dans le même temps, l’argent, qui n’intéressait plus grand monde, s’est dévalué puis n’a plus eu cours. Depuis, on accueille avec une immense joie les nouvelles conversions à la Contemplation. Et chaque jour apporte son lot de bonheur. Ainsi, le monde se peuple de Contemplateurs.


Carnet d’Étienne Lenoir

« Aujourd'hui, nous ne sommes plus, selon mes estimations, que quelques milliers sur Terre. Où qu'on aille, on rencontre des peuplades de Contemplateurs au milieu de vastes étendues. J'attends mon tour. Ma femme, ma fille et mes parents, en font partie. On était en visite chez eux en Lozère. Je suis allé un matin faire des courses dans le village d’à coté. Quand je suis rentré, tout le monde était en train de Contempler. Je vais les voir tous les jours. Je leur parle, mais je ne pense pas qu'ils m'entendent. J'espère que je pourrais les rejoindre sous peu, car je me sens seul. Cela fait des mois que je n'ai pas vu un être humain. La télévision et la radio n'émettent plus. Paris a dû être touché. J’ai trouvé un magnétoscope. Alors, je me visionne des films vidéo. J’attends avec patience la Contemplation. Mais, parfois, la nuit, je me réveille en sursaut et je songe avec angoisse que la Contemplation n'est peut-être pas une bénédiction. Peut-être que Dieu - ou la Nature, peu importe le nom qu'on lui attribue – a fini par renoncer et nous a simplement abandonnés."

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Commentaires
E
Ce sont les commerces alentours qui fleurissent, voyons...<br /> Quant aux besoins vitaux, il n'y en a plus... Parce que c'est comme ça, non mais.<br /> Pour la brièveté, je suis d'accord. J'en discutais l'autre jour avec un ami. On se demandait si ça ne vaudrait pas le coup d'en faire un roman...
A
Ca donne à réfléchir !<br /> <br /> N'empêche, si tout le village de K... a été touché, comment le commerce local peut-il évoluer à ce point si personne ne gère hotels et restaurants ? Bon, je chipotte, mais je suis très terre-à-terre.<br /> Dommage aussi qu'on n'ait pas trop d'informations sur les Contemplateurs, j'aurais bien aimé, moi, savoir ce qu'ils font à part etre assis en tailleur. Tout de même, ils ont des besoins vitaux, non ?<br /> <br /> Quoiqu'il en soit c'est bien mené, peut-etre pour ca que je trouve cette nouvelle courte ;)
Mes humeurs à moi
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