De l'art d'aimer les choses simples
Tout petit, j'étais plein de certitudes. Pour moi le monde s'est d'abord, très tôt, divisé en deux catégories : moi et les autres (recomptez, ça fait bien deux !). Ensuite, j'ai grandi, et plus j'ai grandi, plus j'ai affiné ces deux catégories. J'ai donc eu : ceux que je connaissais et les autres / les gentils et les méchants (grâce à Michel Fugain, d'ailleurs) / les lettrés et les crétins / ceux que j'aimais et ceux que je détestais...Plus tard, j'ai encore amélioré le système : je suis arrivé à glisser quelques sous-catégories, comme, par exemple, la catégorie des cons qui allaient bien finir par moins l'être (cons)...
Bien entendu, le problème de ces catégorisations résidait dans le simple fait que je me posais en juge suprème et que je me plaçais toujours dans la meilleure des deux catégories...
La publicité affectionne les raisonnements simples. Il faut absolument que la cible les comprenne. Un mot ou deux suffisent à développer une pensée, et on voit bien la volonté des créatifs de nous faire croire que le bon sens vaut bien une pensée raisonnable, et que c'est se "prendre la tête" de vouloir conceptualiser un peu les choses.
Alors, chez HBSC, on s'est posé la question de savoir comment résumer 6 milliards de pensées différentes en une poignée de mots. ça a donné ceci...
Comme vous pouvez le constater, chaque photo est reproduite deux fois. Et, à chaque fois, la légende change - il est intéressant de constater qu'une légende modifie la perception d'une photo, mais nous y reviendrons une autre fois -. Le slogan tente de nous dire que la banque HSBC est une banque à l'esprit ouvert, puisqu'elle prend en compte les différents points de vue. Intention louable, mais, là où le bât blesse, c'est de constater la pauvreté des points de vue : un brocolis ou un gâteau au chocolat sont des aliments bons ou mauvais ; la tour Eiffel et les pyramides sont des oeuvres de folie ou de génie. Pas le choix, une bipolarité parfaite... or, tout dépent de mon âge, de ma culture, de mon envie, de mon état de santé... sans compter que mon avis peut être plus mitigé, plus subtil, plus partagé. Les pyramides, par exemple, ont été construite à grand renfort d'esclaves. Je peux donc être admiratif, tout en ne cautionnant pas certains points...
Mais non ! Que nenni ! Sacrilège ! s'offusquent nos amis publicitaires... Un point de vue, c'est Noir ou Blanc, et c'est tout. Pourquoi je complique tout ? Il faut trancher, être clair et net en quelques secondes. Du rythme, du rythme, du rythme ! Sinon, les gens s'ennuient... Et s'ils s'ennuient, ils zappent... L'horreur ! Alors, strass, paillettes et débats à la con où les discussions de comptoir vont bon train... Homos ou hétéros ? Poire ou fromage ? Café ou thé ? Sarkolène ou Ségozy ? Démoquains ou Républicrates ?
A force de niveler l'intelligence par le bas et de faire croire aux individus que la réflexion est un sale truc d'intellectuels hydrocéphales, on crée des sociétés qui se dépolitisent et qui sont essentiellement maléables et perméables aux discours les plus fanatiques.
Parce que le manicchéisme est bien le point commun qui relie les sectes, les dictatures et la société de consommation...