De l'art de faire une suite
En 2001, Richard Kelly réalisait son premier long métrage intitulé Donnie Darko. Oeuvre obscure et difficilement résumable, elle acquit, par le bouche à oreille, et en quelques années le statut rare d'oeuvre culte auprès d'aficionados, rarement habitués à un film d'une telle densité.
L'histoire mettait en scène le tout jeune et excellent Jake Brokeback Moutain Gyllenhaal dans le rôle d'un lycéen passablement perturbé, dont l'ami imaginaire (?), un homme déguisé en lapin, lui révélait que la fin du monde allait se dérouler dans 28 jours, 6 heures, 42 minutes et 12 secondes. Nous sommes dans une petite ville de Virginie, aux États-Unis à la fin des années 80. Autour de Donnie se tissait toute une galerie de personnages, allant de la professeure de français novatrice (fabuleuse Drew Barrymore, qui a co-produit le film) au gourou d'une pseudo philosophie positiviste (génial Patrick Swayze) en passant par des parents middle-class un peu dépassés mais attachants, une psychiatre d'une grande sensibilité ou encore une professeure conservatrice, adepte du gourou susnommé et responsable d'un groupe de danse auquel appartient une des soeurs de Donnie, prénommée Samantha (on comprendra plus loin pourquoi je la cite).
Un scénario impeccable et plein de méandres, une BO des années 80 à faire fondre (INXS / Echo and the bunnymen / Tears for Fears...), une maîtrise de la caméra impressionnante, une photographie et une lumière magnifiques, le tout servi par des comédiens impressionnants et une direction d'acteurs royale.
Tandis que Richard Kelly continuait sa carrière et mettait au point son deuxième long métrage (le fort injustement décrié Southland Tales, massacré à Cannes en 2006, et qui n'a connu qu'une pauvre sortie DVD en mars 2009 dans nos contrées), voilà-t-y pas que des producteurs aux dents longues eurent la pâle idée de vouloir faire une suite à Donnie Darko, qui n'en appelait aucune... ça a donné S. Darko...
Rien qu'au visuel de l'affiche, on aurait dû se méfier. ça sentait déjà le gros pompage inutile... Le résultat est bien pire...
Nous sommes donc 7 ans plus tard. La toute jeune Samantha Darko, soeur de Donnie, donc, qui a pris 7 ans de plus (logique... L'actrice ayant un peu grandi entre les deux films...) s'est enfui de chez elle. (Bien pratique tout ça, parce qu'à part Daveigh Chase, qui jouait donc le rôle de Samantha dans le premier opus, personne n'a dû vouloir se fourvoyer dans cette séquelle...) Voilà donc notre midinette qui se retrouve coincée dans une ville obscure à la suite d'une panne de voiture. Et, comme par hasard, il va se passer tout plein de choses étranges qui ont un vague rapport avec ce qui était arrivé à Donnie, son frère...
Disons-le tout net, ce film est raté. Parce qu'à part une photographie et une lumière plutôt soignée, tout le reste est piètre, à commencer par les acteurs eux-mêmes qui ne semblent pas bien convaincus par le film (palme spéciale à l'enfant prénommé Billy qui s'entête piteusement à refaire le regard de Donnie). Il faut dire que le scénario est une relecture de Donnie Darko, par la Sélection du Reader's Digest... Ainsi, toute l'intrigue repose sur de pauvres voyages dans le temps, dont on se fout un peu royalement....
L'horreur ne s'arrête pas là. Le film pompe intégralement des plans ou des scènes entières du film de Richard Kelly en changeant juste deux ou trois trucs, histoire de dire (l'incendie de la maison du gourou est remplacé par celui d'une église / la fête des adolescents, avec ses ralentis et ses accélérés est reprise telle quelle / la fête d'halloween est remplacée par le 4 juillet / le gourou pédophile est remplacé par un prêtre pas clair / la vielle bigote est remplacée par... une jeune bigote ! / le trou fait par le réacteur d'avion est maintenant fait par une météorite / le masque de lapin est repris et customisé / Donnie le somnambule est remplacé par... Samantha la somnambule...). Et lorsqu'il veut faire plus original, le film de Chris Fisher (c'est lui le fautif...) va plagier des plans du côté des séries cultes comme Carnivale (merci l'arbre sec et tordu) ou Twin Peaks (merci la ballade de Samantha Darko, en tenue de nuit, sur des rails). Cerise sur le gâteau, on trouve même une météorite qui donne des boutons étranges et qui rappelle le tout pourri sketch de Creepshow avec Stephen King ou le Men in Black de Barry Sonnenfeld... Le tout lorgnant sur un esthétisme sataniste de pacotille qu'on croyait définitivement enterré depuis la scène finale entre Johnny Deep et Emmanuelle Seigner dans La neuvième porte de Roman Polanski (mais si... Rappelez-vous cette scène hilarante involontairement où Emmanuelle Seigner fait l'amour à Johnny Deep, avec des flammes à l'arrière-plan...).
Finalement, le seul atout de S. Darko, c'est de nous donner envie de revoir encore et encore Donnie Darko... Ce n'est pas mal diront certains... Mais, bon, c'était inutile de dépenser tant d'argent pour nous le dire... Une simple mail aurait suffi...