De l'art de dépénaliser
Dans les Lettres Persanes, de Montesquieu, deux persans du XVIIIème siècle partent à Paris et affrontent le choc des civilisations. Entre autre rencontre, ils font la connaissance de Lecomte, français qui maîtrisent plus ou moins leur langue, et qui leur sert d'interprète. A un moment donné, ce dernier leur explique pourquoi les Espagnol sont toujours enrhumés : c'est parce qu'ils passent leur temps à chanter la sérénade sous les balcons des femmes, quel que soit le temps qu'il fait. Un espagnol qui n'est pas enrhumé passe pour n'être pas galant dans ce pays.
Nous avons tous notre cohorte de lieux communs et de clichés sur les peuples et les sociétés, et si nous avons tous plus ou moins conscience que cela mène toujours vers le racisme, on ne peut pas s'empêcher de globaliser pour mieux appréhender le monde. Combien de fois n'avons-nous pas énoncé (ou entendu) qu'on avait fait un pays, tout cela parce qu'on y était resté trois semaines ?... Et de déclarer, d'après cette expérience, que tel ou tel peuple savait faire la fête, construisait de belles maisons, ou encore était très raciste...
J'ai mis longtemps à me décider à aller à Amsterdam. Peut-être à cause de la réflexion qui se fixe sur toutes les lèvres si vous avez le malheur de le dire aux gens. Le nom d'Amsterdam n'est pas fini d'être prononcé qu'on vous prend déjà pour un fumeur de joints, post-soixantuitard, et adolescent attardé en plus de ça.
Pourtant, s'il y a bien un phénomène qui m'a paru minoritaire au regard de mes trois jours à Amsterdam, c'est bien la question de la drogue. Soyons clairs. S'il l'on peut acheter et consommer légalement de la marijuana, du cannabis ou des champignons hallucinogènes, il faut bien avoir conscience que tout cela est réglementé. On fume principalement son joint dans le cadre des coffee-shop, et pas ailleurs.
Et c'est grâce à ce (court) séjour que je suis aujourd'hui convaincu de l'urgence de dépénaliser la consommation du cannabis en France. Parce qu'il faut cesser cette immense hypocrisie.
Posons d'abord les choses de manière simple : que le cannabis soit légal ou non, celui qui veut s'en procurer s'en procurera.
Alors, bien sûr, les adversaires à la légalisation avancent deux points : un point d'ordre moral et un point de santé publique. Du point de vue de la morale, la drogue, c'est (le) mal. Un gouvernement ne peut que proscrire une telle pratique. Du point de vue de la santé publique, les adversaires avancent que la légalisation entraînerait invariablement une propagation et un envahissement de la pratique du joint, qui mènerait à la décadence de la société...
J'éviterai de souligner plus qu'il ne le faut que les adversaires à la légalisation du canabis sont souvent des gens qu'on retrouve à fricoter avec des milieux un peu réactionnaires, opposés à l'avortement, au mariage homosexuel, voulant le rétablissement de la peine de mort... Restons en là, et regardons nos deux arguments.
Ces deux arguments sont parfaitement réfutables. Avancer qu'il y a des pratiques qui pervertissent l'individu et lui font renoncer à sa pureté originelle est un vieux fantasme qui court dans toutes les religions. On retrouve cela chez Adam et Eve par exemple. Arrêtons ces vieux délires : fumer un joint, tout comme boire un verre de vin, ne rend pas mauvais, ou monstrueux. Il n'y a rien de bon ou de mauvais dans tout cela. Fumer est un acte, tout comme conduire une voiture, ou aller faire ses courses. Quant à l'argument de santé publique, il est bien évident que légaliser le cannabis devrait ABSOLUMENT s'accompagner de mesures strictes, d'une interdiction de vente aux mineurs et d'une grande campagne de prévention de santé publique. Il n'est pas question de légaliser comme ça...
Légaliser le cannabis aurait en effet les avantages suivants :
- On casserait des réseaux mafieux entiers qui s'engraissent en exploitant des gens (il faut bien récolter et entretenir les plans, non ?).
- On empêcherait des centaines de jeunes de revendre et donc de goûter à l'argent facile.
- On permettrait aux fumeurs de fumer quelque chose de moins nocif et de contrôlé.
- On viderait un peu les prisons de ces terribles délinquants qui revendaient quelques grammes et qu'on criminalise.
- On éviterait que des très jeunes vendent et se fassent arrêter, puis relâcher, parce qu'ils sont trop jeunes pour avoir un casier judiciaire (ce qui crée un sentiment d'invulnérabilité et d'impunité).
- On créerait des emplois légaux.
Bien sûr, dans l'absolu, la drogue ne devrait pas exister. Faut-il pour autant rejeter les consommateurs ? Et ne peut-on pas faire des nuances entre les drogues dures et les drogues douces ? Est-il si effrayant de se remettre en question, de discuter, de réfléchir ? Argumenter est-il nocif pour la santé ? Qu'est-ce qui empêche les princes qui nous gouvernent d'ouvrir le débat ? Parce qu'une démocratie se doit de toujours dialoguer. Non pas pour gommer toutes les différences et arriver à un consensus molasse, mais pour que toutes idées s'expriment et que chacun puissent se déterminer... C'est si révolutionnaire d'affirmer cela ?