De l'art de bien comprendre l'aspect sirupeux des choses
Comment faire un dessin animé bien suintant et bien mièvre pour nos têtes blondes et brunes ? D'abord préparez un scénario lacrymogène. Très important ça. Je vous conseille, pour ma part, la séparation déchirante d'un enfant et de ses parents. C'est bien, carré, classique et ça fonctionne bien. Vous pouvez aussi faire une variation sur le conte de fée, avec princesse idiote et prince nécrophile qui adore embrasser les princesse mortes depuis cent ans. Vous pouvez enfin tabler sur l'expropriation sauvage d'une famille déjà très pauvre, pas encore réduite au cannibalisme (faut pas pousser... C'est tout de même pour les petits nenfants), mais on n'en est pas loin...
Ensuite, jouez à fond la carte de la bestiole anthropomorphique à nom crétinoïde. Pour cela, rabattez vous sur les créatures sympathiques, genre lapin, faon, lionceau, panda, pingouin... Évitez, en revanche, tout ce qui relève du gastéropode, de la pieuvre, du scolopendre, de l'acarien et du brocolis. C'est inutile... Tout le monde a horreur de ces trucs... Et puis imaginez le côté grotesque de la chose : "Hui-Hui, la petite moule", "Slportch, la gentille seiche" ou encore "Monf, le chou rouge abandonné"... Non, c'est grotesque, vraiment...
Enfin, n'oubliez pas d'ajouter à votre cocktail son lot de chansons à trois accords bien niaises et bien entêtantes, avec des paroles dégoulinantes de gentillesse : Tenez, en voici une, rien que pour vous... "Ton père t'a donné la vie... Ta mère te l'a donnée aussi... Ils t'appelaient Mon doux Chéri... Tu sais ce qu'est un radis" (accord ré / la / mi). N'hésitez pas à utiliser des mots tels que "rêve" / "fleur" / "coeur" / "bonheur". En revanche, n'utilisez pas les mots "déodorant", "mixeur", "chanvre indien" et "Sarkozy". S'agirait pas de traumatiser nos enfants tout de même...
Et vous voilà devant un somptueux Walt Disney de derrière les fagots. Merveille des merveilles... Rejoignez le grand club consensuel des adorateurs du grand Walt, prêts à gueuler contre le grand capital mais qui se pâme devant "Poncahontas" ou "Bambi"... Parce que c'est pour les enfants...
Je déteste Walt Disney, je vous dis. J'ai horreur de Mickey, cette souris efféminée; je hais les valeurs de merde de Picsou, le grand capitaliste puant, qui se baigne dans son fric ; j'abhorre les castors juniors et leur morale à la con judéo-chrétienne et cul-bêni ; j'exècre tous ces petits animaux gerbants plein de poils et de maladie dégénérées qui peuplent les forêts ; et surtout, surtout, je ne supporte pas les végétaux chantants... On ne se refait pas...
Et pourtant... Pourtant, l'autre jour, je suis tombé sur "Kuzco, l'empereur Mégalo"
Kuzco est un empereur aztèque qui ne s'intéresse qu'à lui. Il renvoie un jour sa conseillère, sous le prétexte qu'elle est trop vieille. Voulant se venger, la conseillère lui administre un poison. Mais, au lieu de le tuer, elle transforme Kuzco en lama. Kuzco va se retrouver à faire appel à un chef de village qu'il voulait, peu de temps auparavant exproprier (tiens, justement...).
Produit il y a quelques années, "Kuzco" est vraiment un dessin animé à part. Peut-être parce qu'il est plus minimaliste et moins léché que les Walt Disney classiques (il faut dire qu'il a été produit dans un temps beaucoup plus court que d'habitude...). Peut-être aussi parce qu'il est complètement irrévérencieux, très adulte, carrément crypto-gay (il faut voir comment Kuzco traite les futures femmes qu'on lui apporte; ou comment Kronk, le bras droit de la conseillère, aime faire la cuisine...), complètement anachronique, bourré de références cinématographiques (le laboratoire secret du savant fou...) et surtout désopilant... Véritable hommage à Tex Avery, Kuzco est hilarant du début à la fin.
Un produit Disney à part, donc, qui prouve que, de temps en temps, le talent émerge là où on ne l'attend carrément pas. Chapeau bas donc. Et votre serviteur fait amende honorable...