"Panem et circenses", (du pain et des jeux)
Ce soir, les amis, tremblez... Faites fi de toutes les catastrophes, de tous les conflits dans le monde. Ne décrochez plus votre téléphone, ne parlez plus, respirez à peine. Plus rien n'a d'importance. Ce soir, c'est le match France -Togo. Le destin entier d'une nation se joue ce soir.
Ce soir, vous verrez, le ciel se couvrira de gros nuages. En cas de victoire de la France, les nuages s'en iront et la nuit sera douce et étoilée. En cas de défaite, ce sera terrible. Le ciel se fendra et des pluies diluviennes s'abattront sur notre beau pays. Des myriades de sauterelles détruiront toutes nos récoltes. Le sol s'ouvrira, et le peuple tout entier brûlera dans les flammes de l'enfer. Ce sera fort désagréable, je vous l'assure.
A la une du journal l'Equipe (le quotidien sportif) ce matin : "Être ou ne plus être". Tout est dit. En cas de défaite, tout ce qui constitue l'être humain, à savoir la capacité de construire, d'aider, d'écouter, d'échanger, de raisonner, tout ça sera ballayé d'un seul coup...
Arrêtons cette hypocrisie. Le véritable enjeu est financier. Les deux principales chaînes de télévision française qui retransmettent le football ont déboursé beaucoup d'argent : 60 millions d'euros pour TF1, entre 10 et 15 millions d'euros pour M6. Si la France est éliminée ce soir, TF1 estime ses pertes à environ 100 millions d'euros, M6 à 27 millions.
Il faut dire qu'en cas de victoire de la France et d'arrivée en finale, les trente secondes publicitaires se négocieraient autour de 250000 euros...
Vu comme ça, on comprend mieux l'engouement des chaînes pour le football. Ce sport est devenu une formidable industrie générant des chiffres d'affaire et des bénéfices incroyables. Peu importe qu'il y ait des individus derrière les joueurs, ce qu'on veut ce sont des résultats, à n'importe quel prix. Le foot est la meilleure des vitrines du libéralisme, car elle parvient à rassembler autour d'elle toutes les sensibilités de gauche comme de droite.
Il n'y a jamais eu de débat sur le football, comme il n'y a jamais eu de débat sur l'ultra libéralisme. C'est comme ça, parce que c'est comme ça. Des décideurs ont tranché pour nous. Et si, par malheur pour vous, vous remettez en cause ne serait-ce qu'une once de cet ordre quasi-divin, vous passez immédiatement pour un utopiste chevelu, qui préfère la bougie à l'électricité et les chèvres à la voiture...
Allez, avec un peu de chance, dès ce soir, on aura la paix pendant quatre ans...